Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/113

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battre, il ne vit plus que pour l’amour de sa belle épouse, dans la paix et le bonheur. Cela inquiète son peuple et ses amis : ils craignent qu’il ne s’amollisse et perde ses forces ; ils redoutent la trop puissante influence de la délicieuse épouse. Celle-ci même commence à s’inquiéter et se reproche d’être la cause du changement regrettable — au sens de tous — survenu dans l’humeur d’Erec. Un matin, elle s’éveille soucieuse, regarde tristement le bien-aimé qui dort et, sur cette poitrine nue, d’où elle imagine qu’a disparu la bravoure, tombent deux larmes chaudes. En s’éveillant, Erec entend encore ses paroles : « Ah ! faut-il que, par ma faute, la force héroïque l’abandonne ? » Étonné, il croit — avec l’extrême sensibilité d’une noble nature — que sa plainte signifie le désir d’être — ou même de devenir — l’épouse d’un héros plus digne. Cette idée, d’une délicatesse et d’une jalousie singulières, le décide aussitôt : « Dieu me garde de défendre que tu donnes ta main à un plus digne par-dessus le cadavre de ton époux ! » s’écrie-t-il. Aussitôt, il fait seller des chevaux pour lui et pour Enide, prend rapidement congé de tous, s’en va pour courir le monde avec elle seule, lui ordonnant d’aller toujours devant lui et — quoi qu’elle entende ou voie — de ne jamais se retourner vers lui et de ne jamais lui parler, à moins qu’il ne l’interroge. Dans la forêt lointaine, trois brigands