Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/45

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plaisir, sans être éternellement à l’affût de la seule chose qui donne aujourd’hui la liberté et dont la possession confère à tous nos actes la certitude. Je viens de sentir mieux que jamais — bien qu’il en fût ainsi pour moi depuis toujours — que je suis capable de supporter n’importe quel insuccès, n’importe quelle désillusion, n’importe quelle impossibilité d’aboutir, tout, tout, avec la plus grande, la plus dédaigneuse indifférence, mais que les tourments dont je viens de parler m’impatientent furieusement. Tout dédaigner, ne se laisser détourner par rien de la source intérieure, pouvoir renoncer à toute réputation, à tout succès, même à la possibilité d’une représentation dirigée par moi de mes œuvres, mais devoir, avec des grincements de dents, me meurtrir les pieds au bâton que le Destin m’a jeté entre les jambes sur ma route tranquille et solitaire !… Je n’y puis rien changer : à l’exaspération que cela me cause, je suis et reste très sensible et, aussi longtemps que je tiendrai debout, — je n’y puis rien changer non plus, — tous mes efforts, je les emploierai, avec une suprême irritation, à éloigner ce bâton… Heureusement que je puis me donner l’illusion, précisément à cette heure, que cela s’accorde très bien avec mon sentiment intime de me tourner pour quelque temps exclusivement vers le dehors. Probablement, vous ne vous y laissez pas prendre tout