Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/55

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j’ai souffert ; mais je ne suis pas encore au bout, et, sans doute, je n’y arriverai jamais. Donc, plus de retard inutile, et, au lieu de cela, quelques lignes de certitude.

Toutes mes expériences précédentes ne sont rien en comparaison d’une observation, d’une découverte, que j’ai faite à la première répétition d’orchestre pour mon concert, parce qu’elle a décidé de tout le restant de ma vie et que les conséquences m’en domineront désormais tyranniquement. Je faisais jouer pour la première fois le prélude de Tristan, et il me parut que les écailles me tombaient des yeux, quand j’ai reconnu à quelle distance, en ces huit dernières années, je me suis éloigné du monde, — à perte de vue ! — Ce petit prélude était si inconcevablement nouveau pour les musiciens, que je fus forcé de conduire mes gens de note en note, comme à la découverte de pierres précieuses dans une mine.

Bülow, qui était présent, m’avoua qu’en Allemagne les exécutions de ce morceau avaient été acceptées de confiance et sur parole, mais qu’au fond le public n’y avait absolument rien compris. Je parvins à le faire comprendre à l’orchestre et au public : oui, on m’assure qu’il a produit la plus profonde impression ; mais comment ai-je mis cela sur pied, ne me le demandez pas ! Suffit qu’aujourd’hui j’aperçois clairement qu’il m’est impossible de songer à