Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/56

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créer plus avant sans avoir comblé le gouffre terrible derrière moi. Je dois d’abord faire représenter mes œuvres. Et qu’est-ce à dire ?…

Mon enfant, c’est-à-dire que je dois me plonger dans un marais de douleur et de sacrifice, où je périrai peut-être… Tout, tout peut devenir possible, mais seulement à condition que j’aie beaucoup de temps et de loisir, que je puisse avancer pas à pas avec chanteurs et musiciens, que je n’aie rien à précipiter, rien à couper faute de temps et que j’aie toujours tout à ma disposition. Et qu’est-ce à dire encore ? L’épreuve de ce concert, avec le temps si parcimonieusement mesuré, me l’a démontré : il faut que je sois riche ; il faut que je puisse sacrifier sans compter des milliers et des milliers de francs pour m’acheter emplacement, temps et bonnes volontés. Puisque je ne suis pas riche, il me faut bien tâcher de m’enrichir : il me faut permettre qu’on donne ici mes anciens opéras en français, pour être enfin, avec les croissants et considérables bénéfices de ces représentations, en état de révéler mes œuvres nouvelles. — Voilà le problème qui se pose pour moi ; je n’ai pas le choix ! Donc… à Dieu va ! C’est là encore ma tâche ; c’est pour cela que le démon m’a conservé en vie ! Ce serait folie de songer à autre chose ! Je n’entrevois rien que ces convulsions terribles pour la mise au monde de mes dernières œuvres.