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Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/72

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102.

Paris, 10 Avril 60.

Mais, chère enfant bien-aimée, pourquoi ne me donnez-vous pas de vos nouvelles ? Faut-il donc que je commence par tout demander, moi ? Est-ce qu’on ne peut même pas m’écrire, à moi, malheureux, me répondre, au moins ?… Je suis vraiment très inquiet. J’ai écrit dernièrement à Otto : de lui, non plus, pas la moindre réponse ! Maintenant il ne me reste plus qu’à rêver : et c’est aussi mon recours. Je rêve beaucoup et souvent ; mais même les rêves agréables ont pour moi quelque chose d’inquiétant, parce que, d’après les règles de l’art d’interpréter les songes, si l’objet de nos soucis nous apparaît sous des couleurs joyeuses, cela veut bientôt dire le contraire. Mais quel fâcheux recours les rêves sont-ils déjà !… Ils indiquent le vide de notre existence à l’état de veille. Alors le Vert Henri[1] me revient à l’esprit, celui qui finit par ne plus faire autre chose que rêver…

Méchante enfant ! Votre dernière lettre même — et il y a si longtemps de cela déjà ! — me disait si peu de chose, presque rien, de vous ! Seule ma stupide destinée doit-elle toujours servir de thème à notre correspondance ? Je me prends à douter que ces lignes vous trouvent à Rome : vous serez peut-être partie — cela vous ressemblerait bien ! — sans me

  1. Héros célèbre de l’écrivain suisse Gottfried Keller.