Aller au contenu

Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne me dépouillerai pas de l’importance que je dois avoir aux yeux du monde. L’étonnant, seulement, c’est que l’Europe et le monde me sont à peu près également indifférents ; au fond du cœur, je me dis : Que t’importe tout cela ? Mais, encore une fois, je vois bien que je ne m’en dégage pas : oh ! le démon y veille. La plus sûre garantie de mon immanquable influence sur l’Europe c’est… ma détresse !

Je vous dis cela franchement pour que vous ne vous fassiez pas des idées erronées sur mon compte, que vous n’alliez point imaginer que cette vaine supposition me pousse vers quelque chose qui est proprement hors de moi. Mes concerts de Paris m’ont causé des embarras à perte de vue : je n’ai entrepris Bruxelles que pour m’en tirer un peu ; j’ai abouti au résultat diamétralement opposé. En quittant cette ville, je me suis rappelé ce qu’avait dit Rossini après la chute d’un de ses opéras, « plus soigné » que les autres : « Si jamais on me prend à soigner ma partition ! »[1] Et je me dis, de même : « Si jamais on me prend à faire de l’argent ! »[2] L’Allemagne envers moi garde un silence parfait ; si jamais de ma vie j’arrive à faire représenter Tristan et les Nibelungen, il me faudra imaginer de véritables miracles pour me maintenir au-dessus des eaux

  1. La phrase est telle quelle, en français, dans le texte.
  2. De même en français.