Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/92

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d’écarter de mon front les pensées anxieuses. Remerciez-les un peu !…

Ce que jusqu’ici je ne connaissais que par des moments d’émotion sublime, je viens de réprouver cette fois-ci avec une paisible sérénité : me réjouir d’un noble mouvement vers autrui. Je trouvai chez moi le dernier numéro du Journal des Débats ; là dedans, un article de Berlioz sur Fidelio. Depuis mes concerts, je n’avais pas revu Berlioz ; depuis lors, il s’était laissé induire à des animosités de plus en plus vives et à de malicieuses et sournoises attaques : il me fallait renoncer à toutes relations avec le malheureux, d’autant plus que toute tentative dans l’autre sens devait être considérée par lui comme une injure. Donc je fus ravi de cet article sur Fidelio et, bravant toute éventualité, oui, toute probabilité d’un complet malentendu de sa part, je lui écrivis à peu près ceci : « Je viens de lire votre étude sur Fidelio. Soyez-en remercié mille fois ! C’est pour moi une joie toute spéciale d’entendre s’exprimer, par de si purs et nobles accents, une âme, une intelligence qui comprend parfaitement et s’approprie les mystères intimes des créations d’un autre héros de l’art. Il y a des moments où la vue d’un tel acte d’appréciation peut me charmer presque plus que l’œuvre critiquée elle-même, peut-être bien parce que cela montre à l’évidence qu’une chaîne ininterrompue lie tous les grands esprits,