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Page:Wagner - Art et Politique, 1re partie, 1868.djvu/13

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à une conception quelconque du beau. S’il faut donner raison aux plaintes incessantes à propos de la restriction de la liberté politique de la nation (et l’on se flatte que c’est là l’unique cause de la corruption du goût public) on peut opposer, et non sans fondement, à ces plaintes, le souvenir de ces périodes de floraison de l’art, en Italie et en Espagne, où le lustre extérieur et l’influence décisive sur la civilisation de l’Europe coïncidaient avec une absence de liberté politique qui n’était pas sans analogie avec la situation actuelle de la France. Il doit y avoir une raison particulière pour laquelle les Français, à aucune époque de leur splendeur, n’ont pu produire un art comparable, même de loin, à celui des Italiens, ni une littérature poétique qui approchât de celle des Espagnols. Peut-être l’explication de ce phénomène résultera-t-elle d’une comparaison entre l’Allemagne et la France à une époque du plus grand éclat pour celle-ci et du plus profond abaissement pour celle-là : d’une part, Louis XIV, de l’autre, un philosophe allemand qui se croyait obligé de considérer le brillant despote de la France comme le Messie envoyé au monde, ce qui était sans contredit l’expression de l’abjection la plus profonde de la nation allemande !

C’est alors aussi que Louis XIV et ses courtisans érigèrent les règles de ce qui passerait pour beau, règles dont, en allant au fond des choses, les Français n’ont pu encore se débarrasser sous Napoléon III ; de là datent l’oubli de leur propre histoire, l’extirpation des germes d’une poésie nationale, la corruption de la poésie et de l’art importés d’Italie et d’Espagne, la transformation de la beauté en élégance, de la grâce en convenance. Il nous est impossible de reconnaître ce qu’auraient pu