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produire d’elles-mêmes les véritables facultés du peuple français ; il s’est tellement dépouillé de ses aptitudes, au moins dans ce qui passe pour sa civilisation, que nous ne sommes plus en état de déterminer ce qu’il serait sans cette métamorphose. Et cela arriva à ce peuple quand il se trouvait à un haut degré de gloire et de puissance, quand il s’oubliait lui-même pour se refléter dans son prince ; cela arriva avec une énergie si irrésistible, sa forme civilisée s’imprima si profondément sur tous les peuples de l’Europe, qu’aujourd’hui encore, quand on porte les regards vers l’affranchissement de ce joug, on croit voir le chaos dans lequel le Français pense avec raison être retombé, en pleine barbarie, dès qu’il cherche à sortir de la sphère de sa civilisation.

Si l’on sonde ce qu’il y a de véritablement liberticide dans cette influence qui domina le génie souverain le plus essentiellement allemand des temps modernes, Frédéric-le-Grand, au point qu’il regardait le système germanique avec un mépris franchement passionné, il faut avouer qu’une délivrance de cet abâtardissement manifeste de l’humanité européenne n’a pas moins d’importance que n’en eut le renversement du monde romain avec sa civilisation niveleuse et enfin délétère. De même qu’alors un renouvellement complet du sang européen des peuples était nécessaire, de même aujourd’hui une résurrection de l’esprit populaire pourrait être requise, et la même nation d’où sortit autrefois cette régénération semble vraiment destinée à accomplir aussi cette résurrection ; car il est à peine dans l’histoire une donnée aussi évidemment démontrable que la régénération propre du peuple allemand par l’esprit allemand, en opposition ouverte avec l’autre Renaissance des peuples modernes