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par tradition, par conséquent un événement qui n’est pas naturel, immédiat. Or, le mime, l’action théâtrale, est pour le peuple ce que le modèle est pour l’artiste plastique, ce que l’événement rapporté est pour le poète. Le peuple reçoit immédiatement du mime ce que l’artiste et l’écrivain offrent seulement par l’entremise des lois techniques à une intelligence artistique plus abstraite. Il s’agira donc pour l’artiste plastique de savoir quelles sont les propriétés de son modèle, pour le poëte comment il représentera, à l’aide de ce modèle, les phénomènes de la vie qui flottent devant lui ; mais pour le but de nos recherches, il importe uniquement de montrer, par la nature même du mime, de quoi il a besoin à son tour, malgré son aptitude artistique si extraordinairement puissante, pour devenir d’un singe un homme.

Ce qui rabaisse tant l’art du mime aux yeux des autres artistes est ce qui rend ses productions et ses effets si généraux. Tout homme se sent parent du comédien : chaque caractère est accessible à quelque affectation, dans laquelle il imite involontairement l’air, le geste, l’attitude ou le langage d’autrui : l’art consiste uniquement à le faire sans affectation et volontairement. Dans ce sens, l’homme ordinaire qui ment parvient à se déguiser lui-même ; mais imiter aussi un autre homme, sans affectation et à dessein, l’imiter d’une manière si trompeuse qu’on croie l’avoir devant soi, c’est là ce qui plonge la foule dans un étonnement d’autant plus agréable que chacun trouve en soi-même des dispositions à un semblable talent artistique, porté ici à son plus haut degré de perfectionnement. C’est pourquoi aussi chacun s’estime capable de juger le jeu d’un comédien.— Qu’on s’imagine à présent le modèle du peintre et du sculpteur