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passant à une action et un mouvement continus et se produisant constamment en pose, de plus s’emparant entin de la langue et du discours de l’événement réel que le poëte s’efforce de raconter et, par la fixation de sa force de conception, de présenter à l’imagination du lecteur ; — qu’on se figure ce modèle, élevé à une si haute puissance, se formant enfin en corporation, érigeant en illusion réelle son milieu, son entourage, comme ses gestes et ses discours, — et l’on comprendra facilement que par la seulement il séduise déjà les masses, quel que soit l’événement qu’il lui plaise de représenter : le seul charme des machines, qui font illusion en imitant généralement des phénomènes animés, produit chez tout le monde cette surprise agréable qui constitue en première ligne le plaisir du théâtre. À ce point de vue, on peut comparer le théâtre au succès d’une révolte d’esclaves, au renversement des rapports de maîtres à serviteurs. Le théâtre d’aujourd’hui présente, en effet, un succès semblable : il n’a besoin ni du poëte ni du sculpteur; ou plutôt, il prend le poëte et le sculpteur à son service ; ceux-ci lui préparent ce dont il a besoin ; le critique lui donne le certificat que les nègres ont à acheter dans les états à esclaves, et en vertu duquel un noir peut se prendre pour un blanc ; l’autorité, non moins satisfaite, s’intéresse dignement à l’affaire, la majesté étend sur le tout le manteau de sa protection fastueuse — et nous avons là le théâtre de cour allemand de nos jours.

Devant ce théâtre se trouvent encore une fois le peintre, le statuaire et le littérateur, qui ne comprennent pas ce qu’ils pourraient avoir de commun avec lui. Se doutent-ils bien qu’ils doivent à présent se tourmenter à travailler sans modèle ou d’après la simple abstraction