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par un complet accord entre le théâtre et le poëte. Les excellents comédiens de l’heureuse époque de la régénération étaient parvenus jusqu’à l’imitation fidèle du monde bourgeois qui les entourait ; sous ce rapport, ils ne montrèrent pas moins de talent qu’aucune autre nation quelconque, et firent grand honneur au naturel allemand, pour lequel Lessing avait soutenu ses luttes énergiques. Si l’idéal de tout art leur resta inconnu, ils imitèrent, avec une exactitude réelle, une nature honnête et sans fard, dont la simplicité, la bonté de cœur et la chaleur d’âme auraient fort bien pu finir par s’élever jusqu’au beau. Ce qui a discrédité le théâtre bourgeois allemand et l’a rendu repoussant, ce qui a soulevé surtout les plaintes désespérées de Gœthe et de Schiller, ce n’était pas ce commencement honnête, mais la caricature qui en fut faite, la pièce larmoyante, œuvre de la réaction contre la tendance idéale des grands poètes.

Nous aurons occasion de revenir sur cette réaction. Pour le moment, poursuivons Schiller dans son vol puissant pour s’élever, de cette sphère bourgeoise, dans le domaine de l’idée. Avec Don Carlos il s’agissait de décider si, comme Gœthe, le poète tournerait enfin le dos au théâtre, ou s’il lui tendrait une main charitable pour l’attirer avec lui dans ces régions supérieures. Ce que l’esprit allemand réalisa ici, est et reste prodigieux. Dans quelle langue du monde, chez les Espagnols, les Italiens ou les Français, trouvons-nous des hommes des classes les plus élevées, des monarques et des grands d’Espagne, des reines et des princes, qui s’expriment, au milieu des émotions les plus violentes ou les plus tendres, avec un naturel aussi humainement