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noble, et en même temps aussi délicat, aussi spirituel, aussi plein de sens, et pourtant aussi extraordinairement drastique ? Combien, en comparaison, les figures royales d’un Caldéron même doivent nous paraître conventionnelles et guindées, combien les marionnettes de cour théâtrales d’un Racine doivent nous sembler complètement ridicules ! Shakespeare même, qui pouvait pourtant faire parler aux rois et aux manants un langage également juste et vrai, n’était pas ici un modèle suffisant ; car la sphère du sublime, abordée par le poète de Don Carlos, ne s’était pas encore ouverte aux regards du grand Breton. Nous insistons à dessein sur le langage et les gestes des personnages du Don Carlos, parce que nous avons immédiatement à nous demander comment il fut possible à des acteurs allemands, accoutumés jusque-là à n’imiter que la vie commune et bourgeoise, d’adopter ce langage et ces gestes ? Ce qui ne réussit pas d’abord complètement et parfaitement, arriva au moins jusqu’à un degré plein de promesses ; car les dispositions idéales de l’Allemand se montrèrent ici chez le comédien, comme elles s’étaient montrées chez le poète. Son point de départ resta l’imitation fidèle de la vie réellement intime, bourgeoise, correspondant encore une fois aux mœurs naturelles de l’Allemagne, en un mot, de l’andante ; ce qu’il y avait ensuite à gagner, c’était l’essor plus élevé, la passion plus tendre de l’allegro sublime ; on pouvait y atteindre, car les créations de Schiller n’avaient pas une distinction artificielle, contre nature ; elles avaient la distinction vraie, naturelle, purement humaine. Ces comédiens étaient si consciencieux dans la critique de leurs aptitudes, qu’ils craignaient de