Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
UN MUSICIEN ÉTRANGER À PARIS

compatriote et le plus fervent admirateur de ce grand homme pourra être accueilli sans trop de défaveur, s’il tâche de faire entendre au public les faibles essais qui lui ont été inspirés par l’étude de son inimitable modèle.

— Permets que je t’arrête ici, m’écriai-je ; Beethoven est déifié, tu as parfaitement raison ; mais fais bien attention que sa réputation et son nom sont maintenant choses reçues et consacrées. Mis en tête d’un morceau digne de ce grand maître, ce nom sera bien un talisman assez puissant pour en révéler les beautés à l’instant et comme par magie, mais à ce nom substitues-en tout autre, et tu ne parviendras jamais à rendre les directeurs de concerts attentifs aux passages les plus brillants de ce même morceau. (Le lecteur voudra bien ne pas oublier de faire ici une nouvelle application de la remarque que je lui ai recommandée ci-dessus.)

— Tu mens, s’écria mon ami avec quelque violence ; maintenant je te devine ; ton plan bien arrêté est de me décourager et de me détourner du chemin de la gloire ! mais tu n’y parviendras pas !

— Je te connais, lui dis-je, et je sais que ce que tu viens de dire, tu ne lepenses pas sérieusement ; ainsi je te le pardonne. Dans tous les cas, je dois te dire qu’ici encore tu auras à renverser les obstacles qui se dressent indubitablement devant tout artiste sans réputation, quel que puisse être