Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
146
DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

jusqu’à mourir ? Vois-tu, je voudrais que mon histoire fût connue au moins d’une âme sur cette terre, et je n’en sais pas une, si ce n’est la tienne, de qui je puisse croire qu’elle se soucie de moi. Ne crains pas que je me fatigue ; je me sens à mon aise, et la chose m’est facile. Aucune pesanteur dans la respiration, et les paroles coulent de source. Au reste, vois-tu, je n’ai plus que peu de chose à raconter. Tu te figures bien qu’au point j’en étais arrivé de mon histoire, je n’avais plus rien à faire avec les choses du monde extérieur. C’est de là que date mon histoire intime, car je sus dès ce moment que je mourrais bientôt. Cette affreuse gamme sur le cornet dans l’hôtel de l’Anglais me remplit d’un dégoût de la vie, mais dégoût tellement irrésistible que je résolus de mourir. Je ne devrais point, à la vérité, tirer gloire de cette résolution, car je n’étais plus guère libre de vouloir mourir ou vivre. Quelque chose avait éclaté dans ma poitrine et y avait laissé une résonnance prolongée et perçante. Quand ce son s’éteignit, je me sentis à mon aise comme je ne l’avais jamais été, et sus que j’allais mourir. Oh ! que cette conviction me remplit de contentement ! Comme je m’exaltai au pressentiment d’une dissolution prochaine que je surpris dans toutes les parties de mon être délabré ! Insensible à tous les objets extérieurs, et ne sachant où me portaient mes pas tremblants, j’arrivai un jour sur les hauteurs