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UNE SOIRÉE HEUREUSE

cation stéréotypée n’est pas admissible. Si arrêtées et si précises que soient les proportions d’une symphonie de Beethoven, si complètes qu’elles soient comme édifice musical, ce n’en serait pas moins à tort que les impressions que ces compositions font sur le cœur de l’homme seraient ramenées exclusivement à une seule. La même chose a lieu plus ou moins dans tout autre art. Ainsi, un tableau, un drame agissent très diversement sur les diverses individualités, et même sur le cœur d’une même personne, à des époques différentes, et pourtant le peintre et le poète sont assujettis à une précision bien autrement rigoureuse que le compositeur de musique instrumentale, que rien n’oblige à modeler ses œuvres sur les apparitions de la vie ordinaire ; l’immense domaine de l’infini s’ouvre à son génie, et il donne la vie à ses conceptions à l’aide du son, l’élément le plus spiritualisé dont un art puisse disposer. Or, c’est rabaisser le musicien que de vouloir le forcer à mesurer son enthousiasme sur ce monde vulgaire qui l’entoure, et il renierait sa mission, le compositeur qui s’aviserait de transporter dans son art les proportions étroites des objets matériels.

— Ainsi, tu rejettes toute peinture à l’aide des sons ? lui demandai-je.

— Toutes les fois qu’elle n’est pas employée dans des intentions de plaisanterie et qu’elle ne rend point des apparitions purement musicales.