Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
HALÉVY ET LA « REINE DE CHYPRE »

charme, mais il respire en même temps la moquerie haineuse et l’orgueil. Les caractères si opposés des Vénitiens et des Cypriotes sont heureusement fondus dans ce qui suit, et la frivolité qui est commune aux uns et aux autres est parfaitement caractérisée dans le chœur du jeu. Les couplets de Mocénigo : Tout n’est dans ce bas monde, sont d’une beauté incomparable, et se rattachent à l’ensemble sans affectation et sans en interrompre le rythme ; il n’y a rien de trivial, de commun : l’expression de légèreté gracieuse, que n’exclut point la noblesse, fait de ces couplets le modèle du genre. La sensualité, le désir effréné de jouir qui forment le caractère distinctif de tout ce tableau, atteignent leur point culminant dans le chœur dansé qui suit. On voit que le compositeur a voulu se surpasser ici lui-même, en prodiguant tout ce que son talent lui fournissait de richesses mélodiques : le délire de l’orgie ne saurait être rendu avec des couleurs plus enivrantes. Par une transition qui forme un contraste très marqué, nous arrivons au grand duo final entre Lusignan et Gérard. Combien ce morceau diffère sous tous les rapports de ce qui précède ! L’enthousiasme chevaleresque, une noblesse toute virile, se peignent dans ce passage, un des plus importants de la partition ; car c’est à partir de ce point que l’intérêt tragique se manifeste et prend une direction décisive. La romance pathétique : Triste, exilé sur la terre étran-