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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

gère, qui est si bien en harmonie avec les moyens des deux chanteurs, est une perle précieuse dans la riche parure de cette partition. Tout ce que la sensibilité a de plus profond, tout ce que le courage chevaleresque a de plus mâle et de plus exalté sont fondus ici en une seule et même mélodie avec un art sans égal, dont la simplicité des moyens rehausse encore le mérite. En général on ne saurait trop louer Halévy de la fermeté avec laquelle il résiste à toutes les tentations d’escamoter des applaudissements faciles, en s’en remettant avec une confiance aveugle au talent des chanteurs, comme font tant de ses confrères. Au contraire, il tient à ce que les virtuoses, même le plus en renom, se soumettent aux hautes inspirations de sa muse ; c’est ce qu’il obtient par la simplicité et la vérité qu’il sait imprimer à la mélodie dramatique. Au quatrième acte, une magnificence, une splendeur extraordinaires se déploient à nos regards. Nous avons vu dans la Juive qu’Halévy s’entend fort bien à donner à la pompe théâtrale un sens noble et caractéristique ; toutefois, dans la Reine de Chypre il procède autrement. La pompe scénique, dans le premier de ces opéras, reçoit, par l’accompagnement musical, une teinte de fanatisme religieux propre au moyen-âge ; dans la Reine de Chypre, elle reflète au contraire les transports joyeux d’un peuple qui croit saluer dans la jeune reine le gage de la paix et du bon-