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DU MÉTIER DE VIRTUOSE

heurtera d’abord contre l’épaisse muraille élevée par la vanité, l’ignorance et la routine, comme un rempart défendant l’approche du tabernacle sacré. Cette masse lourde et compacte effraie le regard le moins timide, et souvent on a peine à se persuader que ce n’est qu’une enveloppe trompeuse qui dérobe à l’œil le secret du beau et du vrai. Examinons de plus près les causes de cette étrange méprise.

Toute composition musicale a besoin, pour être jugée, d’être exécutée ; l’exécution est donc une partie importante de l’art musical, et pour ainsi dire sa condition de vitalité la plus essentielle. Sa première règle doit être, en conséquence, de traduire avec une fidélité scrupuleuse les intentions du compositeur, afin de transmettre aux sens l’inspiration de la pensée sans altération ni déchet. Le plus grand mérite du virtuose consiste donc à se pénétrer parfaitement de l’idée musicale du morceau qu’il exécute, et à n’y introduire aucune modification de son cru. C’est-à-dire qu’il n’y a vraiment d’exécution parfaite que celle dont se charge le compositeur lui-même, et nul n’en approchera davantage que l’individu doué tout à la fois de la faculté créatrice et d’une organisation assez souple pour s’assimiler en quelque façon la pensée d’autrui. Restent après cela les artistes qui, sans prétendre au talent de l’invention, n’ont rien à sacrifier pour saisir et pour rendre telle qu’elle se comporte une inspira-