Page:Wagner - L’Anneau du Nibelung, trad. Ernst.djvu/16

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citerai un exemple : discutant avec M. Chamberlain sur les traductions possibles des mots de Woglinde : « Walle zur Wiege », j’obtins de mon éminent correspondant cet avis que le sens pur et simple de ces mots importait moins que leur valeur sonore, quasi matérielle. Il s’agit en ce passage d’un langage élémentaire, presque onomatopéique, chanté par un être élémentaire lui- même ; langage où la part de l’idée est très restreinte à côté de ce que l’on pourrait nommer la joie de la sensation toute spontanée. C’est là ce que l’allitération wagnérienne évoque merveilleusement… Aussi le fait matériel que suggère le mot Wiege, (berceau, oscillation, bercement d’onde qui va d’une lame à l’autre, d’une rive à l’autre, et berce Woglinde elle-même, fille de l’onde, en ce mouvement incessé), est surtout compris dans le rythme de la phrase, le rythme berceur des syllabes, la répétition de la consonne w (v)… Plus que le mot français bercer le mot verser me parut satisfaire à ces conditions générales, et propre à agir directement par sa sonorité même, qui allitérait avec les précédentes ; d’ailleurs son sens évoque aussi le bercement, chaque flot se versant pour s’enfler de nouveau, et versant avec lui Woglinde à d’autres ondes. C’est ainsi que la traduction du passage : « Woge, du Welle, — walle zur Wiege… » devint : Vogue, ma vague, — vogue et te verse

Ceci peut suffire à indiquer en quel esprit j’ai essayé d’établir, pour l’Or du Rhin, un texte fidèle et approprié à la musique. Comme dans les autres drames du maître, la solution exacte d’un tel problème est radicalement irréalisable, mais il n’est pas inutile, pour la juste compréhension de l’œuvre en Fiance, de travailler à s’en approcher dans la mesure du possible.

Mai 1897.