Page:Wagner - L’Anneau du Nibelung, trad. Ernst.djvu/15

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il y a primauté marquée du verbe sur la musique envisagée en tant que musique ; cette primauté existe encore, quoique bien moindre, dans la Walkyrie, surtout en raison de certaines scènes au Ier acte et de la plus grande partie du 2e ; Siegfried présente l’équilibre idéal de ces deux modes d’expression, au moins dans les deux premiers actes ; le Crépuscule des Dieux nous fait voir un gigantesque développement symphonique dont l’expression puissante dépasse et submerge pour ainsi dire les moyens expressifs du poème, si beau que ce poème soit d’ailleurs[1].

Le rôle spécial de la parole dans l’Or du Rhin, devait donc, sans modifier les principes généraux de traduction, me conduire à rechercher plus que partout ailleurs une littéralité très précise et une valeur en quelque sorte toute « corporelle » (leiblich) du langage. J’ai dû aussi caractériser le plus nettement possible le rythme verbal par l’intensité sonore des consonnes, le matérialiser par une évocation plus fréquente de l’allitération. On remarquera donc que ces passages allitérés ou pourvus tout au moins d’une certaine couleur sonore sont relativement plus nombreux dans la présente traduction que dans les autres. J’en

  1. Ce n’est pas l’union entre le poème et la musique que j’examine en ces lignes, cette identité d’émotion qui a engendré l’un et l’autre, cette unité profonde imprégnant et vivifiant tout le drame (« conçu, comme le dit Wagner, dans le sein maternel de la musique »). Je prie qu’on veuille bien ne pas me faire dire ce que je ne dis point, n’ayant voulu parler que des rôles inégaux que Wagner a légitimement attribués, suivant les cas, à la parole et à la musique dans l’Anneau du Nibelung, pour extérioriser sa conception et la communiquer à l’auditeur. Et ce que j’ai dit suppose également que l’œuvre est exécutée dans les conditions propres à Bayreuth, avec l’orchestre caché, la musique demeurant ainsi à son plan, fidèle à sa vraie fonction.