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que. L’abaissement et l’infamie communes, la conscience de la perte complète de toute dignité humaine, le dégoût — finalement inévitable — des plaisirs matériels, les seuls qui leur fussent restés, le profond dédain d’une activité propre qui avait perdu depuis longtemps avec la liberté toute âme et toute impulsion artistique, cette lamentable existence sans vie réelle, active, ne pouvait trouver qu’une expression, expression qui — générale sans doute comme cet état même — devait être précisément l’antipode de l’Art. L’Art est la joie d’être soi-même, de vivre, d’appartenir à une communauté ; l’état général à la fin de la domination romaine était au contraire le mépris de soi-même, le dégoût de l’existence, l’horreur de la vie commune. La faculté de traduire cet état appartenait donc non à l’Art, mais bien au Christianisme.

Le Christianisme justifie une existence sans honneur, inutile, lamentable de l’homme sur terre, par le merveilleux amour de Dieu, qui n’a nullement créé l’homme — ainsi que le croyaient erronément les beaux Grecs — pour vivre sur la terre avec une joyeuse conscience de soi, mais l’a enfermé ici-bas dans un répugnant cachot pour lui préparer, en récompense de s’être imbibé là du mépris de lui-même, après la mort une éternité de la plus commode et de la plus inactive des splendeurs. L’homme