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WOTAN

C’est lui que nous attendons ici.

(Il s’assied, tranquille, sur une pierre : LOGE, à côté de lui, s’y adosse. Décoiffé du Tarubolm, qui pend à sa ceinture, ALBERICH paraît ; il pousse devant soi, à coups de fouet, hors du puits situé le plus profondément, toute une foule de NIBELUNGEN : ces derniers sont chargés de bijoux ou de lingots d’or ou d’argent ; ils accumulent le tout en un tas, un Trésor, sous les invectives, lts outrages ininterrompus D’ALBERICH.)

ALBERICH

Par ici ! – Là ! – Hehé ! Hoho ! Foule fainéante, en tas, le Trésor ! Toi, là, en baut ! Veux-tu marcher ? Tourbe infâme, à bas l’Or forgé ! Dois-je vous aider ? Tout de ce côlé ! (Il aperçoit, tout à coup, WOTAN et LOGE.) Hé ! qui est là ? Qui a pénétré jusqu’ici ? — Mime ! approche, misérable drôle ! Aurais-tu jacassé avec ces deux rodeurs ? Fainéant ! veux-tu bien, tout de suite, aller travailler et forger ? (Il pousse MIME dans la foule des NIBELUNGEN, à coups de fouet.) Hé ! au travail ! Tous hors d’ici ! En bas, vivement ! Tirez-moi l’Or des nouvelles mines ! Et fouillez sur l’heure ! sinon, le fouet ! C’est Mime qui me répond de votre zèle, sous peine de sentir le branle de mon bras : que je suis présent partout, là où nul ne s’en doute, il le sait assez, j’imagine ! Allez-vous rester là ? Partirez-vous bientôt ? (Il retire son Anneau, le baise, et l’étend d’un air menaçant.) Troupeau d’esclaves ! obéissez au Maitre de l’Anneau, et tremblez !

(Avec des hurlements, des cris aigus, les NIBELUNGEN (et MIME parmi eux) se dispersent, et se glissent de toutes parts, en bas , dans les puits et les mines.) [1]

  1. Je ne puis pas m’empêcher de m’imaginer que Wagner, spécialement à l’époque où fut écrit ce poème (fin de 1832), songeait à la misère sociale des mineurs d’Allemagne – et d’ailleurs. Le Nibeluns, qui renonce à l’Amour pour avoir l’Or, n’est-il pas vrai que nous le connaissions, – ainsi que son nocturne troupeau, – avant d’avoir lu L’Or-du-Rhin ? Sans doute, il y a bien d’autres choses, et de plus grandioses, et de plus terribles, et surtout de moins particulières, dans ce rôle synthétique d’Alberich. Mais j’ai de bonnes raisons de croire qu’il s’y trouve aussi cela.