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ALBERICH

La vie, mais point l’Anneau ! jamais !

WOTAN

C’est l’Anneau que je désire : je n’ai que faire de la vie !

ALBERICH

Si je rachète mon corps et ma vie, par là même je rachète l’Anneau ! Car mes mains et ma tête, mes oreilles et mes yeux, ne peuvent pas être plus à moi, ne peuvent pas être plus moi-même que l’est ce rouge Anneau d’Or ci !

WOTAN

A toi l’Anneau ? dis-tu : à toi ? Délires-tu, Alfe sans pudeur ? sois franc, réponds : à qui l’avais-tu soustrait, l’Or, dont tu fis cet Anneau brillant ? Etait-ce à toi, ce que ta malice volait aux profondeurs des eaux ? Va donc demander aux Filles-du-Rhin si elles t’auraient donné leur Or, s’il est à toi, l’Or volé dont est fait l’Anneau ?

ALBERICH

Misérable défaile ! Ecoeurante perfidie ! Voleur ! C’est toi qui oses, à moi, reprocher un crime dont tu profites ? Comme tu l’eusses volontiers volé toi-même au Rhin, son Or, s’il eût été aussi facile de le forger, que de le lui soustraire ! Hypocrite ! quel heureux hasard ce serait, pour la prospérité, que, dans l’horreur de sa détresse[1], sous l’empire de la honte, sous l’empire de la rage, le Nibelung, à ton bénéfice, eût trouvé l’effroyable charme ! Mais l’épouvantable Anathème, l’exécrable Malédiction d’un malheureux au désespoir, doit elle, grâce au joyau suprême, contribuer à ton triomphe ? Si j’ai maudit l’Amour, fut-ce pour grandir ta force ? Prends

  1. Je rappelle ce que j’ai dit plus haut, mais que je ne répéterai guère chaque fois : à savoir, qu’à l’idée de « détresse » doit s’ajouter presque toujours, en cette traduction de la Tétralogie, une idée de contrainte ou de nécessité.