Page:Wagner - Lettres à Auguste Rœckel, 1894, trad. Kufferath.djvu/59

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l'œuvre d'art, — est d'agir non par l'exposé des intentions, mais par la représentation d'événements involontaires. C'est cela justement qui distingue mon sujet poétique des sujets politiques que l'on traite presque exclusivement aujourd'hui. Tu voudrais, par exemple, que je marque mieux que je ne l'ai fait les intentions de Wodan, quand il paraît dans le Jeune Siegfried; tu nuirais ainsi très sensiblement à l'arbitraire voulu au plus haut point dans le développement de l'action. Wodan, après le départ de Brunnhilde, n'est plus en vérité qu'un esprit qui abdique ; le plus qu'il peut encore vouloir, c'est que les choses s'accomplissent, qu'elles aillent comme elles vont, sans intervenir désormais d'une façon déterminée ; c'est pourquoi il est devenu le « Voyageur ». Regarde-le bien ! il nous ressemble à s'y méprendre ; il est la somme de l'intelligence actuelle, tandis que Siegfried est l'homme désiré, voulu par nous, l'homme de l'avenir, qui ne peut toutefois être fait par nous, qui doit, au contraire, se faire lui-même par « notre anéantissement ». Sous cette forme, — tu en conviendras, — Wodan doit nous intéresser vivement, tandis qu'il nous paraîtrait indigne, pareil à un subtil intrigant, s'il donnait des conseils dirigés « en apparence » contre Siegfried, en réalité destinés à le sauver lui-même ; ce serait une duperie, digne de nos héros politiques, mais non de mon dieu qui marche vaillamment à sa perte. Vois, comme il se pose