Page:Wagner - Ma vie, vol. 2, 1842-1850.pdf/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

14
À TŒPLITZ AVEC MA MÈRE

tiques de ma femme ; elle éprouva même de l’affection et de l’estime pour la compagne de mes vicissitudes parisiennes. Dans la société de ma mère, dont l’humeur capricieuse nous forçait à bien des ménagements, j’eus surtout plaisir à constater la mobilité presque enfantine de son imagination. Elle avait conservé une telle vivacité d’esprit qu’un matin elle se plaignit d’avoir été empêchée de dormir par le récit que je lui avais fait la veille de la legende du Tannhäuser. Elle me reprocha de lui avoir causé une nuit blanche, non pas désagréable, mais très agitée.

Après avoir écrit à Schletter, le riche Mécène de Leipzig, et obtenu de lui qu’il s’intéressât au sort de Kietz resté dans la misère à Paris ; après m’être occupé aussi de remettre un peu d’ordre dans mes propres finances, si peu brillantes, je laissai Minna entre les mains du médecin et j’entrepris, suivant mon ancienne habitude, une excursion à pied dans les montagnes de la Bohême. Je voulais travailler au plan de mon Venusberg sous les agréables impressions de cette course.

Je me laissai tenter par le site si pittoresque de Schreckenstein, près d’Aussig, et m’arrêtai dans une petite auberge où, chaque soir, on m’arrangea une litière de paille dans l’unique salle. L’ascension journalière de la Wostrai, la plus haute cime de la contrée, me rajeunissait, et cet isolement romantique réveilla à tel point la fougue de ma jeunesse que, par un beau clair de lune et seulement enveloppé de mon drap de lit, je grimpai dans les ruines du Schreckenstein pour me donner à moi-même l’illusion du revenant que j’aurais voulu y