Page:Wagner - Quatre Poèmes d’opéras, 1861.djvu/10

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— II —

sans avoir à se prononcer en même temps sur une théorie contestable.

Il m’eût été, je l’avoue, extrêmement difficile de répondre à votre invitation bienveillante, si vous ne m’eussiez exprimé le désir de me voir offrir en même temps au public une traduction de mes poèmes d’opéra, et indiqué par là le seul moyen qui me permît de vous complaire. Je dois le dire, je n’aurais pu prendre sur moi de me lancer encore une fois, comme il eût fallu m’y résoudre, dans un labyrinthe de considérations théoriques et de pures abstractions. À la répugnance prononcée que j’ai maintenant à relire mes écrits théoriques, il m’est aisé de reconnaître qu’à l’époque où je les composai j’étais dans une situation d’esprit tout à fait anormale, dans une de ces situations où l’artiste peut se trouver une fois dans sa vie, mais non se replacer une seconde. Permettez-moi de vous décrire, avant tout, cet état dans ses traits essentiels, tels que je puis me les représenter aujourd’hui. Laissez-moi m’étendre un peu là-dessus ; je me flatte de vous faire saisir au moyen de cette peinture d’une disposition toute personnelle, la valeur de mes principes sur l’art ; il m’est d’ailleurs aussi impossible, à cette heure, de reprendre ces principes sous leur forme purement abstraite, que cela serait contraire au but que je me propose.

Nous pouvons considérer la nature, dans son ensemble, comme un développement gradué, depuis l’existence purement aveugle jusqu’à la pleine conscience de soi ; l’homme en particulier offre l’exemple le plus frappant de ce progrès. Eh bien, ce progrès est d’autant plus in-