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Page:Wagner - Quatre Poèmes d’opéras, 1861.djvu/23

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tenir enchaîné au théâtre, malgré le dégoût que j’éprouvais dans l’ornière, creusée sans retour, par nos représentations d’opéra. Entre autres impressions de ce genre qui m’affectèrent avec une intensité particulière, je me rappelle un opéra de Spontini que j’entendis exécuter à Berlin sous la direction même du maître ; je me sentis aussi pendant un certain temps ravi dans un monde supérieur en faisant étudier à une petite compagnie d’opéra le magnifique opéra de Joseph, de Méhul. Lorsqu’il y a vingt ans à peu près, je vins m’établir à Paris pour assez longtemps, les représentations du grand opéra, la perfection de l’exécution musicale et de la mise en scène, ne pouvaient manquer de produire sur moi une impression d’éblouissement et de m’enflammer. Mais, depuis longtemps déjà, une cantatrice et une tragédienne dont le mérite, à mes yeux du moins, n’a été jamais surpassé, avait par ses représentations produit sur mon esprit une impression ineffaçable et décisive : c’était Mme Schrœder-Devrient. L’incomparable talent dramatique de cette artiste, l’inimitable harmonie et le caractère individuel de son jeu, toutes ces choses dont mes yeux et mes oreilles s’étaient nourris ardemment, avaient exercé sur moi un charme qui décida de toute ma direction d’artiste. De tels effets étaient possibles, je l’avais vu, et l’âme remplie de ces souvenirs, je m’étais accoutumé à de légitimes exigences, non-seulement quant à la musique et à l’exécution dramatique, mais de plus quant à la conception à la fois poétique et musicale d’une œuvre à laquelle je ne puis guère donner encore le nom d’opéra. J’étais attristé de voir cette artiste réduite, pour alimen-