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ter son talent, à s’approprier les productions les plus nulles dans le champ de l’opéra. Je ne pouvais d’ailleurs m’étonner assez de la profondeur et de la ravissante beauté qu’elle savait prêter au personnage de Roméo, dans le faible opéra de Bellini ; mais je me disais au même moment ce que devrait être l’œuvre incomparable dont toutes les parties seraient parfaitement dignes du talent d’une telle artiste, et d’une réunion d’artistes de même ordre.

Exalté par de toiles impressions, l’idée de ce qui était à faire dans le genre de l’opéra s’élevait en moi de plus en plus ; et cette idée m’apparaissait de plus en plus réalisable en rassemblant dans le lit du drame musical le riche torrent de la musique allemande, telle que Beethoven l’avait faite ; par contre-coup, j’étais plus choqué, plus découragé chaque jour par mon commerce habituel avec l’opéra proprement dit ; il était si loin de l’idéal que je m’étais formé ! À mesure qu’il apercevait plus nettement la possibilité de réaliser une œuvre infiniment plus parfaite, à mesure qu’il se voyait enfermé davantage, par les fonctions qu’il exerçait, dans le cercle magique et indestructible du genre où il voyait tout l’opposé de l’idéal qui le remplissait, le malaise de l’artiste croissait sans cesse et avait fini par devenir insupportable. Permettez-moi de le peindre en quelques traits. Toutes mes tentatives pour opérer une réforme dans l’institution de l’opéra, mes projets d’imprimer par des efforts résolument avoués une direction qui conduisît à la réalisation de mes désirs, ma volonté de faire de l’excellent, qui se rencontre si rarement, la mesure de toutes les produc-