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quence, ne trouve ici nulle prise. La symphonie doit donc nous apparaître, dans le sens le plus rigoureux, comme la révélation d’un autre monde ; dans le fait, elle nous dévoile un enchaînement des phénomènes du monde qui diffère absolument de l’enchaînement logique habituel ; et l’enchaînement qu’elle nous révèle présente avant tout un caractère incontestable : c’est de s’imposer à nous avec la persuasion la plus irrésistible et de gouverner nos sentiments avec un empire si absolu qu’il confond et désarme pleinement la raison logique.

Une nécessité métaphysique réservait précisément à notre époque la découverte de ce langage tout nouveau ; et cette nécessité gît, si je ne me trompe, dans le perfectionnement de plus en plus conventionnel des idiomes modernes. Si nous considérons avec attention l’histoire du développement des langues, nous apercevons encore aujourd’hui dans les racines des mots une origine d’où il résulte clairement que dans le principe la formation de l’idée d’un objet coïncidait d’une manière à peu près complète avec la sensation personnelle qu’il nous causait ; et peut-être n’est-il pas si ridicule d’admettre que la première langue humaine doit avoir eu avec le chant une grande ressemblance. Issue d’une signification des mots toute naturelle, personnelle et sensible, la langue de l’homme se développa dans une direction de plus en plus abstraite, et finalement les mots ne conservèrent plus qu’une signification conventionnelle ; le sentiment perdit toute participation à l’intelligence des vocables, en même temps que l’ordre et la liaison de ceux-ci finit par dépendre d’une façon exclusive et absolue de règles qu’il