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— XXXVIII —

je composai mes écrits théoriques; cet état infligeait à mon cerveau un étrange supplice; c’était un état anormal. Dieu me préserve d’y retomber jamais !

C’était, dis-je, un état anormal ; ce que la conception et la production artistique avaient élevé pour moi au-dessus de toute espèce de doute et jusqu’à une certitude immédiate, je me sentais poussé à le traiter comme un problème théorique, afin d’arriver à la clarté d’une solution rationnelle et réfléchie, et pour cela j’étais forcé de me livrer à la méditation abstraite. Or, il n’est rien de plus étranger, de plus pénible à une nature d’artiste que ce procédé, si opposé au procédé qui lui est habituel. Aussi l’artiste ne peut-il s’y livrer avec le calme et le sang-froid obligé, qui est le propre du théoricien de profession ; il se sent agité par une impatience passionnée qui l’empêche de consacrer au soin du style le temps nécessaire ; cette conception, qui implique l’image complète de son objet, il voudrait la faire tenir tout entière dans chaque proposition ; le doute qui le tourmente à l’endroit du succès le pousse au même effort sans cesse répété ; tout cela tinit par le remplir d’une sorte de colère et d’irritation, choses que ne doit nullement connaître le théoricien. Les fâcheuses conséquences de cet état violent, le sentiment qu’il en a, ajoutent à son trouble ; il se hâte d’achever son œuvre en soupirant, avec la triste persuasion de n’être finalement compris que par celui qui a, comme lui, pour l’éclairer l’intuition de l’artiste.

L’état où je me trouvais était, de plus, une espèce de combat ; je cherchais à exprimer théoriquement ce que l’antagonisme de mes tendances artistiques et de nos