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Page:Wagner - Quatre Poèmes d’opéras, 1861.djvu/70

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— LXII —

ment, le poëte tracera le plan de ses créations avec une liberté sans limite.

Le symphoniste se rattachait encore timidement à la forme dansante primitive, il ne se hasardait jamais à perdre de vue, fût-ce dans l’intérêt de l’expression, les routes qui le tenaient en relation avec cette forme ; et voici que maintenant le poëte lui crie : « Lance-toi sans crainte dans les flots sans limites, dans la pleine mer de la musique ! Ta main dans la mienne, et jamais tu ne t’éloigneras de ce qu’il y a de plus intelligible à chaque homme, car avec moi tu restes toujours sur le ferme terrain de l’action dramatique, et cette action, représentée sur la scène, est le plus clair, le plus facile à comprendre de tous les poëmes. Ouvre donc largement les issues à ta mélodie, qu’elle s’épanche comme un torrent continu à travers l’œuvre entière ; exprime en elle ce que je ne dis pas, parce que toi seul peux le dire, et mon silence dira tout, parce que je te conduis par la main. »

Dans le fait, la grandeur du poète se mesure surtout par ce qu’il s’abstient de dire afin de nous laisser dire à nous-mêmes, en silence, ce qui est inexprimable ; mais c’est le musicien qui fait entendre clairement ce qui n’est pas dit, et la forme infaillible de son silence retentissant est la mélodie infinie.

Évidemment le symphoniste ne pourrait former cette mélodie s’il n’avait son organe propre ; cet organe est l’orchestre. Mais pour cela il doit en faire un tout autre emploi que le compositeur d’opéra italien, entre les mains duquel l’orchestre n’était qu’une monstrueuse