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Page:Wagner - Quinze Lettres, 1894, trad. Staps.djvu/111

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il vint à moi et me dit avec une gravité solennelle : « Amie, vous ne connaissez pas l’étendue de mes malheurs, ni la profondeur de la misère qui m’attend ! » Ses paroles m’effrayèrent, mais, en le regardant, je ne sais quelle étrange confiance jaillit en moi et je m’écriai : « Non, ce n’est pas la misère qui vous attend ! Quelque chose surviendra ! Quoi ? Je n’en sais rien ! Mais ce sera quelque chose d’heureux, de tout autre que ce que vous attendez ! Ayez patience ! Cela vous conduira au bonheur ! »

Le lendemain matin, Wagner quitta Mariafeld ; il avait dormi et était bien disposé. Quand il descendit déjeuner, il nous raconta qu’il avait dit au barbier du village, qui lui servait de valet de chambre et le rasait : « Oui, oui, l’ami, il n’y a pas à dire, il faut que je parte, vous me revenez par trop cher ! » À quoi le barbier avait répondu que Monsieur ne devait point partir pour cela, qu’il le ferait volontiers à meilleur compte. Wagner s’amusait fort de ce petit incident, et il me fit observer que je serais désormais seule à jouir des auditions de l’admirable musicien qui jouait tous les soirs sur sa clarinette : « À ton appel, ô patrie ! »

Nous suivîmes longtemps des yeux le steamer qui emportait au loin l’homme dont le cerveau contenait un monde.