Page:Wagner - Quinze Lettres, 1894, trad. Staps.djvu/125

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profond manque de foi en ma vie, se révèle alors souvent à moi sous une forme exquisement apaisante ; il y a alors des moments, comme lorsque le sommeil vient, où je jouis de la véritable félicité. —

J’ai donc à présent un jeune roi qui m’aime avec exaltation : vous ne pouvez-vous en faire une idée ! Je me souviens d’un rêve que j’ai fait dans les premières années de mon adolescence, je rêvai que Shakespeare vivait et que je le voyais et lui parlais réellement, corporellement ; l’impression m’en est à jamais restée et se transforma en un ardent désir de voir Beethoven (qui était déjà mort aussi). Quelque chose de semblable doit se passer dans cet être charmant quand je suis auprès de lui. Il me dit qu’il en est encore toujours à douter qu’il me possède véritablement. Ses lettres à moi, nul ne peut les lire sans être étonné et ravi. Liszt est d’avis que sa réceptivité est parfaitement au niveau de ma productivité. C’est une merveille, — soyez-en sûre ! — Et cela pourrait ne pas faire plaisir ? Cela doit en faire ! Mais — que de peine, que de peine me coûte le plaisir ! Il n’a rien moins fallu que ce roi merveilleux, sinon, — c’était fini, absolument fini !

J’en étais en quelque sorte déjà arrivé à être congédié par tous mes vieux amis : vous seule, à parler franchement, vous croyiez encore en moi. —

Depuis quelque temps je suis de nouveau tout à fait seul, comme dans un château maudit. Je ne nie pas que cette solitude absolue ne me soit maintenant fort pernicieuse : croyez-m’en, c’est un mal auquel je finirai par succomber. Malheureusement, cela allait tout aussi horriblement mal quand j’avais des amis auprès de moi :