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Page:Wagner - Quinze Lettres, 1894, trad. Staps.djvu/82

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musique. Chopin, que je voyais souvent à Paris, ne jouait pas encore dans les concerts. Jamais je n’ai entendu exécuter ses compositions avec l’exquise délicatesse et la lumineuse clarté qu’il y mettait.

Un jour, ému par les stances que, dans mon enthousiasme juvénile, j’avais adressées à son infortunée patrie, il s’assit au piano dans la pénombre de la chambre voisine et, s’abandonnant à son impression avec une merveilleuse facilité d’improvisation, il donna une forme aux sentiments qui avaient traversé son âme à la lecture du Chant d’un poète étranger. La dame de la maison, celle-là même qui lui avait communiqué mes vers, me tendit la main en souriant et me dit que jamais elle n’avait entendu Chopin jouer ainsi. Sous l’impression du moment, Chopin voulait avoir un lied de moi pour le mettre en musique, mais mes vers n’en valaient pas la peine ; je lui dis que j’attendrais la messe solennelle qu’il écrirait pour célébrer la résurrection de sa patrie.

Il me semble qu’il n’est pas juste de dire, comme je l’ai lu parfois, que Wagner a connu à Zurich les poignantes douleurs de l’exil.

Le proscrit que tous appréciaient, que beaucoup vénéraient, vivait dans la sécurité de son propre foyer ; il avait des amis qui répondaient