Page:Wagner - Quinze Lettres, 1894, trad. Staps.djvu/94

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qui lui était propre dans le bonheur comme dans l’adversité, et que je lui parlais des richesses incommensurables qui lui avaient été prêtées, et auprès desquelles tous les revers qu’il avait essuyés, n’étaient rien de plus que des nuages qui passent, cette parole de consolation semblait lui plaire.

Que dirai-je de toutes les heures pendant lesquelles l’énergique, l’indomptable Richard Wagner, dégoûté du travail, incapable de se contenir, me parlait de toutes les amertumes des jours passés, d’épreuves et d’hommes qui lui avaient plutôt barré le chemin, qu’ils n’avaient contribué à le lui frayer. Il parlait aussi de son enfance et de sa première jeunesse, comme s’il eût voulu mettre en fuite le souvenir d’impressions pénibles en évoquant des images sereines. Je crois que j’ai pénétré alors dans plus d’une phase et plus d’un repli de sa vie intime ; il avait toujours eu confiance en moi, et il savait que c’était du fond du cœur que je désirais lui venir en aide, mais il savait aussi que je ne voulais le faire qu’autant que je le jugeais juste et bien. Il est difficile, lorsqu’on aborde le terrain de la réalité positive, de donner la forme exacte à ce que l’on raconte : le cri que la réalité du moment arrache à l’ami et que le moment suivant efface, ne peut être considéré comme