Page:Wagner - Quinze Lettres, 1894, trad. Staps.djvu/99

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qu’il voulait, mais je ne parvenais pas à le distraire. Je le vois encore assis sur le siège qui se trouve aujourd’hui comme alors dans l’embrasure de ma fenêtre, écoutant impatiemment ce que je lui disais de la splendeur de l’avenir qui l’attendait. Le soleil venait de se coucher dans toute sa beauté, le ciel et la terre n’étaient que lumière et que flammes. Wagner me dit : « Que me parlez-vous d’avenir quand mes manuscrits sont encore au fond d’une armoire ! Qui fera représenter l’œuvre d’art que je ne puis laisser venir au jour qu’avec la collaboration de démons propices, afin que le monde entier sache que c’est ainsi que le Maître a vu et voulu son œuvre ? » Dans sa surexcitation, il allait et venait par la chambre. Tout à coup il s’arrêta devant moi et s’écria : « Je suis autrement organisé, j’ai des nerfs plus sensibles, il me faut la beauté, l’éclat et la lumière ! Le monde me doit ce dont j’ai besoin ? Je ne puis pas vivre d’une misérable place d’organiste comme votre Maître Sébastien Bach ! Est-ce donc d’une exigence inouïe que demander que le peu de luxe dont j’ai envie, vienne à moi ? Moi qui prépare de la jouissance à des milliers et des milliers d’êtres ! » En parlant ainsi, il relevait la tête comme