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SOUVENIRS

de la scène, et de son âme oppressée s’échappe ce cri : « Il est sauvé !… » Mme Schrœder se laissa entraîner à parler ces mots, au lieu de les chanter.

Plus d’une fois déjà, dans Fidelio, elle avait éprouvé quels puissants transports elle excitait dans le public par l’effet d’un mot décisif, proféré, dans l’excès de la passion, sur un ton qui le rapprochait du pur accent parlé : à ce passage « Un pas de plus, tu es mort », elle parlait le mot mort bien plus qu’elle ne le chantait.

Cet effet surprenant, je l’avais éprouvé pour ma part ; il tenait au prodigieux effroi dont j’étais saisi, en me sentant précipité brusquement, comme par un coup de hache, du haut de la sphère idéale où la musique élève les situations même les plus horribles, sur le sol nu de la plus épouvantable réalité ! On avait là comme une révélation directe des limites extrêmes du sublime : en me rappelant cette impression, je ne peux la mieux