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MES SOUVENIRS SUR SCHNORR

« Le voilà bien ! » Cette impression instantanée, si profondément pénétrante, ne peut même se comparer qu’à un charme ; je me souviens de l’avoir reçue de la grande Schrœder-Devrient, en mes premières années d’adolescence, d’une façon décisive pour toute ma vie, et depuis je ne l’ai jamais éprouvée de nouveau aussi particulière, aussi forte, qu’à l’entrée de Ludwig Schnorr dans Lohengrin. Au cours de son interprétation, je ne tardai pas à m’apercevoir que bien des choses n’étaient pas encore venues à maturité, dans sa façon de comprendre et de rendre ; mais ces défauts mêmes avaient pour moi l’attrait d’une pureté juvénile intacte, d’une chaste disposition au développement artistique le plus florissant. L’ardeur, la tendre exaltation, qui débordaient des regards merveilleusement amoureux de ce tout jeune homme, m’attestèrent aussitôt de quelle flamme démoniaque ils étaient destinés à brûler ; il devint pour moi, en peu d’instants, un être dont les facultés illimitées finirent par m’inspirer une