Page:Wailly - Éléments de paléographie, I.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette supposition. Il arrive même souvent que, dans les manuscrits d’une belle antiquité, les lettres initiales des alinéa ne dépassent pas le texte, en sorte que les grandes lettres ne paraissent guère qu’au commencement des pages.

Est-il nécessaire de faire remarquer que les lettres coloriées fournissent à l’artiste et à l’antiquaire une source inépuisable d’observations curieuses, soit que la mode dans ses caprices leur emprunte des modèles de parure et d’ameublement, soit que le savant lise dans leurs ornements symboliques l’histoire cachée des mœurs d’un autre âge ? Quand même on se bornerait à étudier ces monuments sous le rapport de la paléographie, ils fourniraient encore des éléments précieux pour cette science. « Il n’est peut-être point de caractère plus facile à saisir ni plus propre à déterminer l’âge des manuscrits, disent les Bénédictins, que celui qui résulte de la forme et du génie de leurs lettres historiées répondant à nos lettres grises[1]. En général, leur rareté dans leurs manuscrits où d’ailleurs on ne s’est point négligé sur l’élégance, est en proportion avec leur antiquité. Si ce caractère n’était pas démenti par aucun autre, on pourrait estimer du ve siècle ou du vie au moins, tout manuscrit où l’on n’en découvrirait aucune. Du reste, on ne prétend pas fixer au dernier l’origine des lettres historiées : on ne saurait même presque douter qu’elle ne soit bien plus ancienne. En effet, le vie siècle n’était pas un temps fort propre à faire éclore des nouveautés si recherchées. Ces lettres sont appelées capitulaires parce qu’elles étaient placées au commencement des chapitres et des livres. Les lettres en broderie commencent à relever les manuscrits du vie siècle. Au viie, elles deviennent plus fréquentes et remplissent quelquefois la dernière page d’un livre. Aux lettres brodées, en France, succéda la mode des lettres en treillis ou à mailles. Leur massif commença d’abord par recevoir des chaînettes. Bientôt elles se multiplièrent au point de produire des lettres tressées et entrelacées. Le règne de ce caractère désigne les viiie et ixe siècles. Les arabesques parurent sur les lettres historiées dès le viiie. Leur faveur s’accrut dans la suite : leur crédit se soutint au moins jusqu’au xiie ; mais depuis le x e ce fut avec un dépérissement sensible du goût… Les lettres historiées anglo-saxonnes se distinguent des autres parce quelles aboutissent en têtes et en queues de serpents ; parce qu’elles sont bordées de points ; parce qu’elles paraissent dans leurs massifs garnies de perles ; parce qu’elles portent sur un fond, soit rouge, bleu, jaune, soit mi-parti ou écartelé de ces couleurs. Ces lettres grises, terminées en têtes ou en queues de serpents, de dragons, de monstres, ou les représentant dans

  1. On entend par lettres grises les lettres initiales dont la dimension est plus grande que celle des lettres du texte ; c’est un terme générique qui désigne toute espèce de grandes lettres.