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Blafard ressuscité qu’avaient mordu les vers !
Pouvais-tu te reprendre aux soucis de ce monde,
O toi qui rapportais dans ta stupeur profonde
La science interdite à l’avide univers ?

La nuit à peine eut-elle au jour rendu sa proie,
Tu rentras dans la nuit, songeur mystérieux,
Spectre inerte à travers les partis furieux,
Et ne connaissant plus leur douleur ni leur joie.

Dans cette autre existence insensible et muet,
Tu ne laissas chez eux qu’un souvenir sans trace.
As-tu subi deux fois le baiser qui terrasse,
Pour regagner l’azur qui vers toi refluait ?

— Oh ! que de fois, à l’heure où l’ombre emplit l’espace,
Loin des vivants, dressant sur le fond d’or du ciel
Ta grande forme aux bras levés vers l’Eternel,
Appelant par son nom l’ange attardé qui passe ;

Que de fois l’on te vit dans les gazons épais
Te mouvoir, seul et grave, autour des cimetières,
Enviant tous ces morts qui dans leur lit de pierres
Un jour s’étaient couchés pour n’en sortir jamais !

(Les Lèvres closes.)


LES FILAOS


A Théodore de Banville.

Là-bas, au flanc d’un mont couronné par la brume,
Entre deux noirs ravins roulant leurs frais échos,
Sous l’ondulation de l’air chaud qui s’allume
Monte un bois toujours vert de sombres filaos.
Pareil au bruit lointain de la mer sur les sables,
Là-bas, dressant d’un jet ses troncs roides et roux,
Cette étrange forêt aux douleurs ineffables
Pousse un gémissement lugubre, immense et doux.
Là-bas, bien loin d’ici, dans l’épaisseur de l’ombre,
Et tous pris d’un frisson extatique, à jamais,
Ces filaos songeurs croisent leurs nefs sans nombre,
Et dardent vers le ciel leurs flexibles sommets.