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LABOUR


Par le champ qui décrit sa courbe dans l’azur,
Les six bœufs deux par deux vont d’un pas lent et sûr,
Traînant le soc où l’homme aux cheveux gris s’appuie
Et qui fend le sol dur tant assoiffé de pluie.
Matin ensoleillé de juin qui resplendit.
Un jeune paysan, toucheur de bœufs, brandit
L’aiguillon d’un geste ample et comme hiératique
Et chante à pleine voix selon le mode antique :

« Ho ! les beaux bœufs nourris par moi
Dans les étables de la ferme,
Tio ! tio ! holéha holé !
Bons au labour, bons au charroi,
Tirez bien droit, marchez bien ferme,
Tio ! tio ! hip ! »

Les bœufs blancs, œil mi-clos, mufle rose et baveux,
En un commun effort tendent leurs cous nerveux.
Jusques au bas du champ droite descend la raie.
Un bref instant de pause à l’ombre de la haie,
Puis les couples vaillants vont, patients et doux,
Pour un autre sillon repartir… Etles jougs
Grincent sous la courroie, et le soc luisant crie
En pénétrant au sein de la terre meurtrie.

« Ho ! mes valets, mes compagnons
De tous les temps, calme ou tempête,
Tio ! tio ! holéha holé !
Gentils et forts, fiers et mignons,
Hardi ! mes bœufs que rien n’arrête,
Tio ! tio ! hip ! »

Et toujours les six bœufs vont d’un pas régulier,
D’un bout à l’autre bout, par le champ familier,
le sol s’échauffe tel qu’un fourneau qu’on allume ;
Par essaims s’attachant au poil mouillé qui fume,
Le taon vorace fait rougir un point sanglant
Sur la rose blancheur du poitrail ou du flanc…
Et toujours le soc clair, sans hâte, sans secousse,
Soulève en frémissant la glèbe brune et rousse.