Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t1.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Depuis, se pénétrant de plus en plus profondément d’humaine tendresse, cet esprit hautain et pur, que tentent les sommets et les abîmes, n’a cessé de produire des œuvres telles que Les Vaines Tendresses, La Justice, Le Bonheur, où sa poésie réussit à exprimer ce que jusqu’alors on avait pu croire inexprimable. Parti timidement du Vase brisé, il s’est élevé, en passant par l’Idéal et par l’Art, jusqu’aux sublimités de la Grande Ourse et du Zénith, « et maintenant il plane avec de lumineuses palpitations d’aîles, éveillant l’idée d’un alcyon qui aurait une envergure d’aigle. 0 belle œuvre où abondent les chefs-d’œuvre ! O belle vie toute vouée à la vertu de l’idée et du labeur ! Une vénération environne ce noble homme, illustre à l’écart [1] ; et comme les poètes, les philosophes aiment son rêve qui sent, pense, invente et croit ! a (Catulle Mendes.)

Et s’il nous laisse des inquiétudes de cœur et de raison, c’est que, — poète essentiellement humain et subtil métaphysicien, — par toute son œuvre complexe et variée, par sa philosophie enseignant la résignation douloureuse, par son scepticisme de croyant, par son athéisme religieux, M. Sully Prudhomme est bien l’homme de son temps. Il en exprime toutes les angoisses. Pour lui, « de tous les vivants de la terre, le plus parfait, L’homme, ne se sent que trop souvent seul et abandonné », sa solitude l’épouvante…

Et sous l’Infini qui l’accable,
Prosterné désespérément,
ll songe au silence alarmant
De l’univers inexplicable ;
Le front lourd, le cœur dépouillé,
Plus troublé d’un savoir plus ample,
Dans la cendre du dernier temple
Il pleure encore agenouillé.

Le lecteur, quel qu’il soit, trouvera dans ce rêveur sublime ot attristé un tendre ami et un consolateur austère.

  1. Les distinctions honorifiques, hommages dus à son œuvre et à sa vie, n’ont point fait défaut à M. Sully Prudhomme. En 1877, l’Académie lui décernait le prix Vitet pour l’ensemble de ses ouvrages. Chevalier de la Légion d’honneur en 1878, il fut élu, en 1881, membre de l’Académie française.
    En 1902, le prix Nobel lui ayant été attribué, M. Sully Prudhomme a fondé un prix de poésie, le prix Sully Prudhomme, institué pour permettre, chaque année, la publication du premier recueil d’un poète, lequel est choisi, après concours, par la Société des gens de lettres.