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M. Edmond Rostand, un poète de vingt ans qui paraît pour la première fois devant le public… Ce volume des Musardises n’est pas un bouton, ni une fleur, mais un fruit délicieux ; ce n’est pas une promesse, c’est une véritable explosion de talent poétique ; avec cela, un accent nouveau, cette spontanéité, cette hardiesse, ce je ne sais quoi d’enlevé et de vibrant qui dut faire tressaillir, il y a près de soixante-dix ans, les premiers lecteurs des Contes d’Espagne et d’Italie. Des audaces étonnantes, des habiletés plus étonnantes encore. Sous cette exubérance, un esprit sain et bien conformé ; pas de névrose, rien de la décadence ; un joyeux et robuste appétit de vivre, nuancé de cette mélancolie où les âmes passionnées se reposent sans s’énerver. »

Dans les Musardises, il y avait le poète qui rit et le poète qui pleure ; il y avait aussi le poète qui aime. Toute une partie du livre, la dernière, « colle qu’on noue comme un bouquet pour,couronner l’œuvre », était dédiée à l’Aimée. Les Musardises n’avaient pas plus tôt paru que le poète se mariait. Le 8 avril 1890, M. Edmond Rostand épousait Mlle Rosemonde Gérard, qui l’année suivante se révélait, elle aussi, au monde des lettres, par la publication d’un volume de vers adorables : Les Pipeaux [1].

  1. Voici une pièce extraite de ce recueil. On nous saura gré de la transcrire ici :


    L’ÉTERNELLE CHANSON

    Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
    Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
    Au mois de mai, dans le jardin qui s’ensoleille,
    Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants.
    Comme le renouveau mettra nos cœurs en fête,
    Nous nous croirons encor de jeunes amoureux ;
    Et je te sourirai, tout en branlant la tête,
    Et nous ferons un couple adorable de vieux.
    Nous nous regarderons, assis -sous notre treille,
    Avec de petits yeux attendris et brillants.
    Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
    Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs.

    Sur notre banc ami, tout verdâtre de mousse,
    Sur le banc d’autrefois nous reviendrons causer.
    Nous aurons une joie attendrie et très douce,
    La phrase finissant souvent par un baiser.
    Combien de fois jadis j’ai pu dire : « Je t’aime ! »
    Alors avec grand soin nous le recompterons :
    Nous nous ressouviendrons de mille choses même,
    De petits riens exquis dont nous radoterons.
    Un rayon descendra, d’une caresse douce,
    Parmi nos cheveux blancs, tout rose, se poser,
    Quand sur notre vieux banc, tout verdâtre de mousse,
    Sur le banc d’autrefois nous reviendrons causer.

    Et comme chaque jour je t’aime davantage,
    Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain,
    Qu’importeront alors les rides du visage ?
    Mon amour se fera plus grave et plus serein.
    Songe que tous les jours des souvenirs s’entassent ;