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CRÉATION PAR LOI.

nards, le péril augmentera sans cesse, à mesure que par le changement de leur bec ils s’éloigneront de leur première forme ; et il atteindra son maximum, au moment où ils commenceront à être des mouettes. Il faudra que plusieurs siècles s’écoulent, que des générations entières soient créées et périssent, pour que, par le sacrifice d’innombrables individus d’une espèce, il se produise un seul couple de l’autre. »

Ce passage présente la théorie de la sélection naturelle sous un jour si absurdement faux, que l’on serait tenté d’en rire, si l’on oubliait qu’un pareil enseignement, répandu par un journal aussi populaire, est de nature à égarer les esprits. Il semble reposer sur l’idée que le canard et la mouette sont des parties essentielles de la nature, l’un et l’autre bien conformé pour la place qu’il occupe, et que si l’un était dérivé de l’autre par une métamorphose graduelle, les formes intermédiaires auraient été inutiles, insignifiantes, et n’auraient eu aucune raison d’être dans le système de l’univers. Or cette manière de voir ne peut exister que dans l’esprit d’un homme qui ne comprend point la théorie de la sélection naturelle, car celle-ci a pour base et pour premier principe la conservation des variations utiles seules, ou, comme on l’a exprimé avec justesse, la survivance des plus aptes. Les formes intermédiaires qui auraient pu se produire, pendant la transition du canard à la mouette, n’auraient point eu à subir une lutte pour l’existence extraordinairement difficile, et n’auraient point couru un « maximum de danger » ; bien au contraire, chacune d’elles aurait été aussi exactement en harmonie