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APPLIQUÉE À L’HOMME.

n’est que la théorie de la sélection naturelle appliquée à l’intelligence), parait insuffisante pour expliquer le développement du sens moral. Cette question a été récemment l’objet de longues discussions, et je ne donnerai ici qu’un seul exemple pour éclaircir ma pensée. La sanction utilitaire de la véracité n’est ni très-puissante ni très-universelle ; peu de lois lui prêtent leur appui ; le mensonge n’entraîne pas une bien sévère réprobation ; dans tous les pays et dans tous les siècles, il a été tenu pour pardonnable en amour, et louable à la guerre ; aujourd’hui ce n’est qu’un péché véniel dans l’opinion de la majorité de l’espèce humaine, en ce qui touche l’industrie, le commerce, la spéculation ; un certain degré de fausseté fait partie intégrante de la politesse en Orient comme en Occident, et de sévères moralistes ont autorisé le mensonge quand il s’agit d’éviter un ennemi ou d’empêcher un crime. Si donc la véracité a eu à lutter avec tant de difficultés, si sa pratique admet tant d’exceptions, et a nombre de fois amené la ruine ou la mort de ses plus ardents adeptes, comment pouvons-nous croire, que des considérations d’utilité aient jamais pu la revêtir du caractère sacré de la première des vertus, et pousser des hommes à l’apprécier pour elle-même, et à la pratiquer en dépit des conséquences ?

C’est un fait, cependant, qu’une idée mystique de culpabilité s’attache au mensonge, non-seulement chez les classes supérieures des peuples civilisés, mais encore chez des tribus entières de sauvages. C’est le cas par exemple pour les Kurubars et les Santals, tribus barbares des