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DE LA TENDANCE DES VARIÉTÉS À S’ÉCARTER

dans le cours de quinze ans, ni de cent cinquante ans. Avec une pareille puissance de multiplication, chaque espèce doit avoir atteint ses limites peu d’années après son origine, et rester alors stationnaire. Il est donc évident que chaque année il doit périr un grand nombre d’oiseaux ; en fait, autant qu’il en naît ; or, la progéniture annuelle évaluée au plus bas chiffre, est égale au double du nombre des parents ; par conséquent, quel que soit le nombre moyen de tous les individus existant dans un pays donné, il en périt chaque année un nombre double ; — résultat frappant, mais qui parait pour le moins très-probable, et qui peut-être reste plutôt au-dessous de la vérité. Il semble par conséquent que, pour ce qui concerne la continuation de l’espèce et le maintien du nombre moyen des individus, des couvées nombreuses sont superflues. En moyenne, tous les petits, sauf un seul, deviennent la proie des faucons, des vautours, des chats sauvages et des belettes, ou bien périssent de froid ou de faim pendant l’hiver.

Ce fait est prouvé d’une manière frappante par l’étude d’une espèce en particulier : on trouve alors que son abondance n’est point en rapport avec sa fécondité. Le pigeon voyageur des États-Unis offre peut-être l’exemple le plus remarquable de ce phénomène : la multiplication de cet animal est énorme, et cependant il ne pond qu’un œuf ou deux au plus, et l’on dit qu’il n’élève généralement qu’un seul petit. Pourquoi cet oiseau est-il si extraordinairement abondant, tandis que d’autres, dont la couvée est deux ou trois fois plus nombreuse, se multiplient beaucoup moins ? Le fait est