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Page:Waller - Lysiane de Lysias, 1885.djvu/182

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Cet air semblait un cri lointain venu des rochers pensifs de la patrie ; un large éclair traversa la pensée de Greta, lui montrant dans une nappe de lumière blanche, le pays, les heures évolues, les promenades lentes sous les tilleuls et les grands marronniers des jardins, les musiques enveloppantes ainsi que des fumées de mélodie, et voguant en longues bandes parmi les feuilles remuées aux brises…

Alors, tout n’était que douceur, que simplicité, que calme vie à travers une nature apaisée et reposante. Les montagnes baisées par les nues roses, le fleuve aux eaux roulées mollement, les pierres écroulées et verdies de mousse, les radeaux descendant le Rhin d’une allée insensible et paresseuse, toutes ces choses abandonnées et non revues s’évoquaient à la jeune femme dans un demi-jour d’automne, poétisées par la distance et purifiées par le temps. Ses souvenirs s’étaient fondus en elle, et, pour son esprit mélancolisé par une inexprimable nostalgie, il semblait que les ballades, les poésies mystérieuses, les peintures pâlies, les musiques traînantes fussent la réalité, cette réalité disparue et transformée par un long et douloureux regret.

Ce Loreley-Lied, elle se souvenait si bien de l’avoir entendu par l’orchestre des concerts de chaque semaine, sous les arbres du Kley-Garten. Elle écoutait encore les violons chevrotant comme un être humain qui pleure, et donnant à la simple musique de Silcher l’intense émotion des ballades ; avec eux elle avait dit, en sourdine, les dolentes paroles de Heine : — « Je ne sais pourquoi je suis si triste… L’air est glacé, le jour s’efface, le Rhin coule doucement et les pointes des montagnes disparaissent dans la nuit qui tombe… »