Page:Walras - Introduction à l'étude de la question sociale.djvu/11

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saurait être bien ou mal que les loups mangent les agneaux ou que même les loups se mangent entre eux. Au contraire, il n’est point indifférent à la morale que l’homme égorge son semblable pour le dévorer, car cela est mal ; ni que l’homme tue l’animal et s’en repaisse, car cela est bien.

Mais s’il est vrai de dire que tout homme est une personne libre, il l’est aussi d’ajouter que l’homme seul est une personne libre, et, par conséquent, que tout être qui n’est pas un homme est une chose. La chose est un être impersonnel, c’est-à-dire un être qui ne se connaît pas et qui ne se possède pas, qui n’est point responsable de sa conduite, ni susceptible de mérite ou de démérite. De par la raison, les choses sont à la discrétion des personnes. C’est tout à la fois pour celles-ci un droit et un devoir que de faire contribuer celles-là à la poursuite de leur fin, à l’accomplissement de leur destinée. C’est pourquoi nous brûlons le bois des forêts, pourquoi nous mangeons et les fruits de la terre et les animaux, pourquoi nous détournons les fleuves de leur cours. Et s’il nous était utile et possible de percer la terre de part en part, de dessécher l’océan, de rapprocher du soleil notre planète, cela nous serait permis sinon commandé, par cela seul que c’est tout à la fois un droit et un devoir pour nous que de subordonner la fin des choses à notre fin, leur destinée aveugle à notre destinée morale. Donc voilà d’un côté la nature impersonnelle ; voilà d’un côté l’humanité. La raison soumet l’une à l’autre… Du point où nous en sommes à montrer la solidarité de toutes les destinées humaines dans l’œuvre de leur accomplissement, il n’y a qu’un pas ; c’est affaire à la théorie de la société.

III. Si tout homme est une personne libre, tous les hommes, en tant que personnes libres, sont égaux dans la société. Les hommes sont inégaux à d’autres points de vue : ils le sont au point de vue du développement de leurs facultés, au point de vue du mérite et du démérite. On conçoit qu’ici l’étude préalable et attentive de la nature et de l’origine de la société permettrait d’abord de définir et de déterminer l’égalité et l’inégalité, ensuite de formuler nettement la loi supérieure de la solidarité sociale de telle sorte et en des termes tels que cette loi contînt, dans son expression même, le principe conciliateur du communisme et de l’individualisme.

Cette loi étant enfin démontrée, on pourrait considérer la