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comprendre que les seules déductions théoriques fussent suffisantes à tirer d’une loi générale ainsi obtenue les lois spéciales d’une société d’hommes qui penseraient, sentiraient, se résoudraient et agiraient dans les conditions et le milieu où nous vivons : car la seule expérience aidée de l’induction et de l’hypothèse nous initie à la connaissance de ces conditions et de ce milieu.

Il me paraît ainsi que la théorie de la société suppose deux choses. Envisagée dans sa portion théorique, elle suppose la condition que l’activité de l’homme soit libre ; et la loi sociale suprême peut s’asseoir sur le simple fondement du principe de liberté. Envisagée dans sa partie d’application qui est l’édification des lois sociales spéciales, la théorie de la société suppose d’abord la formule sociale supérieure, élucidée à priori, et ensuite la connaissance expérimentale des conditions physiques, physiologiques, économiques , au milieu desquelles se déploie l’activité libre de l’homme.

Achevons d’éclairer cette question par un exemple.

Au nombre des espèces sociales, il en est une qui se distingue aisément : c’est l’espèce des faits d’échange. Une portion notable de notre vie sociale se passe à vendre certaines choses, à en acheter d’autres. Il y a des hommes qui vendent l’usage du sol ; il y en a qui achètent l’usage des facultés personnelles des travailleurs ; l’on vend et l’on achète mille objets de toute nature, de première et de dernière nécessité, de prix infiniment varié. Tous les faits de cette espèce, tous les faits d’échange constituent l’objet des sciences économiques. Cherchons à définir les points communs, les points distincts, les points de jonction de l’économie politique et de la théorie de la société.

Quelles que puissent être les choses échangées, naturelles ou artificielles, matérielles ou immatérielles, durables ou éphémères, elles ont toujours, au point de vue particulier de l’échange, deux qualités communes : elles ont une certaine valeur et elles sont appropriées. Ainsi l’échange implique nécessairement la valeur et l’appropriation. Ce n’est pas tout encore : quelles que puissent être les choses valables, précieuses ou viles, elles ont aussi toujours deux qualités communes : elles sont utiles et elles sont rares. Ainsi la valeur implique nécessairement l’utilité et la rareté.